Asian Spring

Sui Jianguo

1956 -

Sui Jianguo

Sui Jianguo vit à Pékin et travaille principalement la pierre. Il se fit connaître comme un subtil conceptualiste auteur de détournements de sens de l’iconographie maoïste. Mais depuis déjà assez longtemps, il a pris ses distances par rapport à l’art qui se contente de parodier, ridiculiser, critiquer ou de faire la satire de Mao. Désormais, il réutilise les caractéristiques apparentées à l’art politique et totalitaire sous son régime pour un éloge du grandiose et des qualités visuelles qui prônent la verticalité. 

Un procès qui a fait grand bruit en Chine l’a opposé à Wang Wenhai reconnu comme un « serial-sculpteur » adorateur du Grand Timonier. Le premier a poursuivi le second devant un tribunal pékinois pour violation de ses droits de propriété intellectuelle et pour avoir utilisé, dans une oeuvre montrée à San Francisco, à savoir une sculpture de Mao qu’ils avaient conçue en commun. En dehors de l’anecdote, ce procès indique une dimension esthétique où apparaît la divergence entre des deux créateurs. 

 

Sui Jianguo, tente de renouer avec la réalité psychologique de l’histoire. Selon ses propres termes, la conscience du peuple chinois est loin de pouvoir tirer un trait sur l’uniforme maoïste. Et en reprenant la figure « empruntée » à Wang Wenhai, il voulait démontrer que l’uniforme maoïste représente en réalité un désir partagé par de nombreux intellectuels chinois vers la fin des années quatre-vingt-dix, désireux de trouver là un sujet historique susceptible d’exprimer la modernité de la culture chinoise et d’être salué unanimement par la critique. Pour Sui Jianguo, l’uniforme maoïste était un sujet fondamental sur lequel il a construit son oeuvre et sa réputation. Perçu dans le cadre post-politique d’une nation socialiste où règne désormais l’esprit du capitalisme international, l’uniforme maoïste figure les préoccupations morales des intellectuels en matière de culture et incarne les valeurs marquantes de la Chine moderne. L’artiste a commencé ses séries « Mao Suit » en 1997. Toutes ses oeuvres reflètent son expérience personnelle et explorent son angoisse face à la peur de l’emprisonnement. Par-dessus tout, son travail représente le point de vue et l’esprit de la génération qui a survécu à la révolution culturelle de Mao. 

Grâce à l’influence de son approche, la sculpture abstraite et conceptuelle a été bien acceptée par le peuple Chinois et par les autorités. De plus, il a introduit l’art contemporain de la Chine actuelle dans le monde entier. Son travail artistique est reconnu en Occident. Parmi ses oeuvres les plus récentes, le dinosaure rouge – le symbole de l’impérialisme chinois, comme celui de la Chine communiste – avec la gravure sur la poitrine « Made in China » est un clin d’oeil aux jouets en plastique datant des débuts de l’envolée économique chinoise, et représente un symbole fort de la Chine antique entrant dans l’ère contemporaine. Pendant les années 60, tout était « Made in Japan » puis dans les années 70 « Made in Taiwan », depuis quelques décennies, désormais tout est « Made in China ». A titre d’exemple 95 % des jouets vendus dans le monde sont fabriqués dans cet empire. 

Pour Sui Jianguo l’époque et le déterminisme maoïstes posent en outre le problème du temps et de la dimension existentielle fondamentale. Acceptant (ou subissant à l’origine) cette nécessité, l’artiste fait de sa sculpture un chemin et un moyen de connaissance. Les oeuvres en sont plus que la trace, les « résidus » alchimiques d’un temps désormais révolu. Saturé d’empreintes, le créateur chinois tente de rendre compte d’une réalité quotidienne en inventant ses figurations historiques et désormais animalières. Mais dire comme on le répète trop souvent que l’art de Jianguo Sui est inspiré uniquement par Mao reste trop réducteur, car l’artiste puise bien plus profond dans l’histoire de son pays afin de s’échapper de la surface des choses. Maître des changements d’échelle, il adore faire en grand ce qui a existé d’abord en petit (l’inverse est vrai aussi) afin d’attribuer aux images une dimension supplémentaire. Pourtant, le sculpteur ne se disperse pas : sans cesse il ré-explore son propre parcours en le replaçant et en jouant encore sur les dimensions, les couleurs et les matériaux. Demeure la prolifération de figurines d’objets dérisoires en perpétuels transferts et transbordements.